La bataille de Marignan : une propagande (bien) exécutée par Fragonard

17 décembre 2017Temps modernes0 commentaires

Titre : La bataille de Marignan
Auteur : Alexandre Evariste Fragonard
Technique : Huile sur toile
Dimensions : 4.65 m x 5.43 m
Année : 1836
Conservation : Château de Versailles – galerie des batailles

 

La bataille de Marignan en chiffres

Soldats français

morts

heures de combats

panache blanc

Une date est ancrée dans notre mémoire collective : 1515 – prononcez « quinze-cent-quinze » –  surgissant comme un automatisme à l’appel du mot-clé « MARIGNAN ». Mais de quoi s’agit-il exactement ? Quels étaient les acteurs de cette célèbre bataille, et pourquoi s’affrontaient-ils ? Et surtout, pourquoi l’histoire voulut qu’on s’en souvienne ?

PETIT RAPPEL : Marignan est une bataille des guerres d’Italie initiées par les rois de France à la fin du XVème siècle.

Les hostilités s’étalèrent sur 11 épisodes pendant plus de 60 ans durant les règnes de Charles VIII, Louis XII, François Ier et Henri II.

Guerres d’Italie : épisodes I à IV

A la fin du XVème siècle, l’Italie est morcelée en une multitude d’entités : les Duchés de Milan et de Savoie, les royaumes de Sicile ou de Naples, les républiques de Venise, Florence, Gênes ou encore l’état pontifical de Rome.

Certaines de ces provinces aiguisent les appétits expansionnistes de plusieurs souverains français, qui tentent alors de faire valoir leurs droits héréditaires dessus.

C’est Charles VIII qui amorce en 1494 la première des guerres d’Italie. Il réclame le trône de Naples, ancienne possession de la maison d’Anjou (dont les rois de France sont les légataires), désormais aux mains de la couronne d’Aragon.

Charles mène une campagne réussie jusqu’à Naples pendant trois ans mais il reperd en fin de compte ses nouvelles possessions face à une forte coalition anti-française fomentée par le pape Alexandre VI.

Louis XII lui succède en 1498 et il est tout aussi déterminé que son cousin à faire valoir ses droits. Il convoite non seulement  le royaume de  Naples, mais aussi le duché de Milan qu’il estime tenir de sa grand-mère. Il enchaîne des expéditions italiennes avec succès pendant une dizaine d’années et conquiert Milan, Gênes, Bologne et Naples.

Mais une ligue européenne se constitue contre l’encombrant roi de France, qui est finalement contraint d’évacuer l’Italie et de mettre fin à ses ambitions transalpines en 1513.

Guerres d'Italie pendant les règnes de Charles VIII et Louis XII

Guerres d’Italie sous les règnes de Charles VIII et Louis XII

Outre les raisons de succession revendiquées par Charles VIII et Louis XII pour ces expéditions en Italie, c’est aussi l’intérêt économique que représente ces contrées qui motive les rois de France à s’y intéresser d’aussi près.

Guerres d’Italie : François contre-attaque

En 1515, Louis XII meurt sans héritier mâle, et c’est à son gendre que revient la couronne. François Ier monte sur le trône à tout juste 20 ans. Fidèle au modèle de ses prédécesseurs, il se lance à son tour dans le rêve italien.

C’est le Duché de Milan qu’il convoite en premier lieu. Pour sécuriser ses arrières, il s’assure tout d’abord que le jeune roi d’Angleterre Henri VIII et le prince des Pays Bas (futur Charles Quint) n’interviendront pas. Enfin, François s’allie avec la Sérénissime République de Venise, éternelle rivale de Milan.

Sforza, le Duc de Milan, est de son côté épaulé par la Confédération Suisse. L’empereur Maximilien Ier et le pape Léon X sont aussi sensés défendre le duché, mais ils restent occupés à guerroyer sur d’autres territoires. En vérité, seuls les suisses sont prêts à honorer leur engagement.

François se prépare tout de même à une forte opposition et recrute 15000 mercenaires allemands : les lansquenets. Au moment de passer en Italie avec son armée, il décide contre toute attente de franchir les monts plutôt que de traverser la Savoie, où ses ennemis possèdent des garnisons. Il progresse donc par le col de Larche, situé plus au sud, où, dit-on, il fallu construire la route au fur et à mesure de l’avancée des 30 000 hommes constituant l’armée française. 

Outre les lansquenets, les effectifs sont composés de nombreux cavaliers lourdement cuirassés, d’une infanterie de mercenaires gascons et basques ainsi que d’une artillerie à la pointe de la modernité dont les canons sont réputés précis et maniables.

François I er par Jean Clouet - 1530

François Ier

par Jean Clouet | 1530  | Musée du Louvre

François, appartenant à une branche cadette des Valois n’est en principe pas destiné à régner. Héritier présomptif, il est le petit cousin de Louis XII et devient son gendre par son mariage avec Claude de France.

Notons que Louis XII avait d’abord fiancé sa fille avec le futur Charles Quint, s’alliant ainsi à l’empire de Maximilien Ier (grand-père de Charles Quint), dans le but d’obtenir un soutien considérable pour son investiture à la tête du duché de Milan.

 

Marignan, bataille de géants et bain de sang

Le 10 septembre 1515, les troupes du roi de France gagnent la petite ville de Marignan (aujourd’hui appelée Melegnano), située à une douzaine de kilomètres au sud de Milan.

Les confédérés suisses sont déjà entrées dans la cité de Milan et se préparent sérieusement. Leur cavalerie est succincte et leur artillerie quasiment inexistante – à peine une dizaine de canons. En revanche ils disposent d’une infanterie conséquente et puissante dont les piquiers sont armés de très longues lances afin de tenir l’ennemi à distance.

Le 13 septembre en début d’après-midi, les guetteurs français aperçoivent un nuage de poussière au loin, indiquant que l’ennemi attaque et qu’il avance rapidement. Il reste moins d’une heure à François et ses soldats pour se préparer au combat.

Les confédérés entendent mener une attaque éclair, en cassant les lignes avant composées de lansquenets pour ensuite s’emparer de l’artillerie française. Dès les premières heures, c’est la débâcle au sein des mercenaires allemands dont la plupart prennent la fuite. Sentant venir le désastre, le roi quitte sa position d’observateur et décide d’aller soutenir l’avant-garde. Il réussit à négocier avec les lansquenets allemands leur maintien dans les rangs et file ensuite protéger l’artillerie.

Petit à petit la tendance s’inverse et les suisses commencent à reculer. Mais bientôt, à force de poussière soulevée, de fumée de canons et surtout à cause de l’obscurité, on ne se distingue plus rien sur le champs de bataille. Pendant des heures on combat à l’aveugle, jusqu’à ce qu’enfin le clairon français sonne le rappel vers minuit. François décrit en ces termes cette courte et absurde nuit :

« Les Suisses se logèrent bien près de nous, si bien qu’il n’y avait qu’un fossé entre nous deux. Toute la nuit, nous demeurâmes le cul sur la selle, la lance au poing.»

Le roi et son contingent profitent de la trêve pour repenser leur stratégie bien mal engagée. Ils reorganisent les rangs en arc de cercle de façon à enfermer les suisses. Ils creusent aussi des tranchées supplémentaires et déplacent l’artillerie.

Le soleil à peine levé, les helvètes fondent de nouveau sur les français qui, malgré les remaniements, se retrouvent de nouveau en mauvaise posture.

Mais alors que les suisses  ne peuvent compter sur aucun soutien extérieur, la France elle, attend l’aide promise par la République de Venise.

Après avoir marché toutes la nuit, les vénitiens s’abattent sur l’armée des confédérés. Complètement épuisés, ceux-ci tentent en vain de se reformer pour être finalement mis en déroute définitivement.

Après plus de 16 heures de combats, la retraite est sonnée à 11h le matin du 14 septembre.

La bataille de Marignan, le bilan

Jamais aucune bataille de l’histoire de France, n’avait été si meurtrière. On parle de 16 000 morts en tout, du jamais vu. Trois jours furent nécessaires pour ensevelir tous les cadavres.

Après cette victoire, François Ier connaît un véritable état de grâce : Le pape Léon X est le premier à signer la paix et la fin des hostilités est également signée avec les Habsbourg. Les suisses quand à eux s’engagent à ne plus jamais servir les ennemis de la couronne française. C’est la « paix perpétuelle » et l’embryon de la fameuse neutralité suisse. En 1516, la guerre est terminée. C’est la fin du cinquième épisode des guerres d’Italie. Mais un sixième opus est en préparation.

, la mort de Maximilien ouvre la succession à la couronne impériale et  Charles Quint, son petit fils, est en compétition avec François Ier pour se faire élire à la tête du Saint Empire germanique.  Le Français ne réussi pas à acheter assez d’électeurs et s’incline.

En 1521, le nouvel empereur décide de former une alliance contre la France avec la participation de Léon X et Henri VIII. Les conflits reprennent de plus belle en Lombardie où les français sont à nouveau chassés de Milan. L’épisode s’achève avec la défaite du roi de France à Pavie en février 1525 et son emprisonnement pendant un an dans les geôles espagnoles.

 

 

Bataille de Pavie - 1525 - Joachim Patinir

Bataille de Pavie en 1525

Cette bataille marque la défaite de la France dans sa volonté de domination sur l’Italie. Non seulement François Ier est capturé mais la plupart des cadres de l’armée tombent au combat. C’est une humiliation militaire et politique pour le roi. Pour sa libération, il est contraint de céder la Bourgogne, l’Artois et la Navarre à Charles Quint et de laisser ses deux jeunes fils en otages aux espagnols.

La propagande Marignan du XVI ème siècle

C’est justement suite à l’évènement si désastreux de la déculottée de Pavie que les conseillers du roi décident qu’il aurait besoin d’un peu de publicité pour redorer son blason. Ils choisissent de remettre en avant sa seule victoire :  Marignan.

Habilement, ils font appel à un médecin et auteur lyonnais proche de la cour, Symphorien Champier, pour ressusciter une vaillante figure (presque) oubliée du peuple : le Chevalier Bayard.

Dans une biographie publié en novembre 1525, Champier romance à l’extrême tous les hauts faits attribués au brave chevalier. Mais surtout, il invente une anecdote supplémentaire : l’adoubement de François Ier par Bayard quelques heures après la bataille de Marignan.

Le lyonnais met ainsi en valeur l’humilité du souverain et son amitié avec un héros qu’il aurait comblé d’honneur en se faisant armer chevalier par lui. Cette histoire crée aussi une filiation entre le preux chevalier et le jeune roi. Inutile de préciser que nulle mention de cette parenthèse n’existe avant l’ouvrage de Champier.

Pari gagné puisque le texte rencontre un grand succès dès sa parution.

Le courageux  Bayard appartient désormais à la postérité et la royauté sut par la suite se rappeler avec opportunisme du mythe de l’honorable gentilhomme.

Adoubement de Francois Ier par Bayard - Gravure de 1525

Adoubement de François Ier par Bayard

La vie de Bayard – Gravure de 1525

Illustration tirée de la première édition de l’ouvrage de Symphorien Champier. Notez les deux boulets de canon qui passent au-dessus de leurs têtes.

François 1er armé chevalier par Bayard, Louis Ducis 1817

François 1er armé chevalier par Bayard

Louis Ducis  | 1817 | Château de Blois

La propagande Marignan du XIX ème siècle

Au XIX ème siècle, pendant la monarchie de juillet Louis-Philippe cherche à rétablir une sorte de continuité monarchique sans se replacer pour autant dans les pas de Louis XVI.

En 1833, le dernier roi des français décide de transformer le Château de Versailles en musée de l’histoire de France et de créer la fameuse galerie des batailles.

Dans une salle de 120 mètres de long, il compte exposer au public une sélection de tableaux de grands formats, représentant les événements militaires ayant « fait » l’histoire de France.

La popularité du chevalier Bayard de François Ier n’ont pas diminué et pousse Louis-Philippe à sélectionner la Bataille de Marignan comme l’une des 33 glorieuses batailles de la nation.

La mode est au style pictural « troubadour » qui tente de reconstituer une atmosphère médiévale à travers la représentation d’événements historiques. De nombreux artistes adhèrent à ce mouvement, notamment Alexandre Évariste Fragonard. C’est à lui que le gouvernement passe commande pour la réalisation d’une toile sur la bataille de Marignan.

Louis-Philippe en 1841 par Franz Xaver Winterhalter

Louis-Philippe en 1841

par Franz Xaver Winterhalter

Inauguration de la galerie par Louis-Philippe le 10 juin 1837, de François-Joseph Heim

Louis-Philippe inaugure la galerie des batailles

le 10 juin 1837, tableau de François-Joseph Heim

« La bataille de Marignan » par Fragonard

La bataille de Marignan par Alexandre Evariste Fragonard

Lors de sa présentation en 1836, le tableau fut sévèrement critiqué. Les chroniqueurs lui reprochent son manque de réalisme. Fragonard doit reprendre le sol qu’il avait parsemé de gazon verdoyant, pour le transformer en terre ocre et poussiéreuse.

Au centre de la scène,  François Ier, empanaché de blanc, est juché sur un destrier immaculé. D’un geste doux mais impérieux, il empêche la poursuite des ennemis, attitude mettant en valeur sa compassion. La posture du roi n’est pas sans rappeler celle de Napoléon Bonaparte dans La bataille d’Eylau peint par Antoine-Jean Gros en 1808.

Devant le roi, un autre acte se déroule : un soldat supporte un officier blessé. Tout près, un troisième homme semble déjà mort, il serre un étendard blanc dans sa main.

A droite, des combattants de l’armée adverse se sont arrêtés pour regarder la scène et semblent même la commenter. Cette scène évoque probablement le moment où le comte de Guise, colonel général des lansquenets, fut grièvement blessé. Le corps inerte du fantassin est sans doute celui de son fidèle écuyer Adam Nuremberg, ce dernier s’étant sacrifié pour son maître. On raconte que le comte fut désarçonné pendant une charge et que Nuremberg le protégea du piétinement avec son propre corps.

En arrière plan, on observe les deux armées qui continuent à s’affronter. On distingue les Français qui chargent et les confédérés leur faisant face, lance au poing. 

En sélectionnant cette œuvre, Louis-Philippe protégeait le souvenir de François Ier et reconnaissait Marignan comme un événement majeur du roman national, au même titre que Poitiers, Bouvines ou Austerlitz.

Mais depuis la Vème république, la France n’a plus d’ambition expansionniste et tente d’oublier son passé impérialiste. Les historiens nous ont laissé le souvenir de Marignan tout en occultant les tenants et aboutissants. C’est pourquoi nous connaissons la date sans avoir vraiment l’explication.

Aujourd’hui, le mythe du Chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, est relégué à la littérature jeunesse, quant à François Ier, il est désormais perçu comme esthète amoureux des arts à qui l’on a gommé toute velléité militaire.

Un petit rappel du contexte historique est parfois nécessaire.

A propos d'Alexandre Évariste Fragonard...

Né en 1780 à Lausanne, le fils du célèbre Jean-Honoré Fragonard sut s’illustrer également dans la peinture et notamment dans le courant pictural troubadour du début du XIX ème siècle.

Il fut non seulement l’élève de son père mais également celui de Jacques-Louis David auquel son style doit beaucoup. Il expose régulièrement et honore de nombreuses commandes de tableaux historiques.

Repères


  • 1494 : Charles VIII initie la première guerre d’Italie
  • 1498 : Louis XII succède à Charles VIII et conquiert Milan et Naples
  • 1513 : Retrait des troupes de Louis XII
  • 1515 : Avènement de François Ier
  • 13 septembre 1515 : Bataille de Marignan
  • 1525Bataille de Pavie, François Ier est fait prisonnier
  • 1837 : Inauguration de la galerie des batailles à Versailles dans laquelle est exposée la bataille de Marignan par Alexandre Évariste Fragonard

Biblio :

« Marignan – 13 – 14 septembre 1515 » de Didier le Fur

« François 1er, le roi-chevalier » de Sylvie Le Clech