Le massacre de la Saint-Barthélemy par François Dubois
Le massacre de la Saint-Barthélemy | |
: | François Dubois |
Huile sur bois | |
: | 93.5 cm x 154.1 cm |
: | De 1576 à 1584 |
Conservation : | Musée des Beaux Arts de Lausanne |
Le massacre de la Saint-Barthélemy en chiffres
tués
guerres de religion
personnages
Coligny
reine-mère
Les représentations contemporaines aux massacres de la Saint-Barthélemy sont extrêmement rares, ce qui fait de ce tableau un document exceptionnel. Le peintre François Dubois était un protestant lui-même rescapé des tueries et il transposa toute sa subjectivité dans son œuvre.
Début des persécutions sous François Ier
En France, le terme « guerres de religion » est employé pour désigner la guerre civile qui ensanglanta le pays pendant plus de trois décennies, où s’affrontèrent les catholiques et les protestants. Mais le conflit paraît principalement d’ordre politique, tant les oppositions théologiques des deux doctrines semblent minces.
Les premiers troubles survinrent sous le règne de François Ier pendant la montée du protestantisme en Europe. D’abord tolérant envers la réforme, le souverain changea peu à peu d’attitude face à des actes de vandalisme perpétrés contre le culte romain et favorisa les poursuites judiciaires contre les reformés.
En 1534 le placardage clandestin d’affiches anti-papistes provoqua la radicalisation du roi contre les luthériens et amorça le début des persécutions.
Les tensions montent et les clans se forment
Les tensions religieuses augmentèrent encore sous le règne de son fils Henri II, mais malgré la législation de plus en plus répressive à l’égard des protestants la réforme progressait. Elle se diffusait principalement dans les milieux lettrés des villes et infiltra progressivement la noblesse à partir du milieu du XVIème siècle. Même certains dignitaires de la cour se convertirent.
A la mort d’Henri II, des camps politiques commencèrent à se former et cherchèrent à renforcer leur influence envers son successeur.
Le clan des Guise, fervents catholiques, fut placé au premier plan du pouvoir. Leur lien de parenté avec Marie Stuart, épouse du jeune roi François II, leur conférait un ascendant considérable.
Louis de Condé, huguenot, prince de sang et meneur du parti protestant s’opposa farouchement à cette emprise et tenta des actions de résistance. Soupçonné de soutenir activement la sédition, Condé fut arrêté en 1560. Mais la mort soudaine de François II occasionna un changement de pouvoir. Désormais Catherine de Médicis gouvernait en tant que régente au nom de son fils Charles IX. Elle libéra le Prince de Condé, consciente du contrepouvoir nécessaire qu’il représentait face à la puissance des Guise.
Les Guise écartés du pouvoir, la reine favorisa la recherche d’un consensus entre catholiques et protestants. Mais faute de terrain d’entente, l’agitation continuait à gronder avec le concours des prédicateurs catholiques qui enflammaient les foules.
Se sentant menacés, les protestants s’armèrent à leur tour et interdirent le culte catholique dans les cités qu’ils contrôlaient.
En 1561, on estime que 10 % des français étaient huguenots.
Selon leurs affinités et surtout leurs intérêts, les nobles se ralliaient soit au camp protestant des Bourbons, mené par Condé, soit au camp des Guise, catholiques intransigeants.
En janvier 1562, voulant à tout prix éviter un conflit, Catherine de Médicis publie un édit autorisant enfin la liberté de conscience et de culte aux protestants. Mais en contrepartie, ceux-ci devaient rendre les églises et chapelles qu’ils avaient réquisitionnées et les offices devaient se dérouler hors des villes closes. Mais l’effet inverse se produisit : au lieu de les restituer, les huguenots saccagèrent les lieux de culte qu’ils s’étaient accaparés.
La première guerre de religion
Les altercations se généralisèrent. Le 1er mars 1562, le Duc de Guise et sa troupe tuèrent 50 huguenots rassemblés dans une grange à Vassy. Cet évènement ouvrit la première guerre de religion. Sept autres épisodes suivirent. Au total, les conflits s’étalèrent sur 36 ans, de 1562 à 1598.
Le jeu des alliances et l’ingérence des pays frontaliers se mirent en place. L’Angleterre d’Elizabeth finançait l’armée protestante tandis que Philippe II d’Espagne soutenait les catholiques.
Une bulle du pape Pie V ordonna carrément une croisade contre les hérétiques.
C’est à partir de 1568 que Catherine de Médicis abandonna sa politique de conciliation et fit combattre l’armée royale du côté des catholiques.
Massacre de Vassy le 1er mars 1562
Gravure de Tortorel et Perissin | 1570
Un mariage pour la paix ?
Le massacre de la Saint-Barthélemy fut le déclencheur de la 4ème guerre de religion. Une trêve avait été signée en 1570. L’édit de Saint-Germain octroyait une liberté de culte assez limitée à quelques villes et faubourgs. En revanche, le protestantisme était interdit à Paris. Mais l’édit appelait à la tolérance et indiquait qu’on ne pouvait pas faire de différence pour raison religieuse.
Les huguenots furent de nouveau admis dans la fonction publique et leurs nobles à la cour. L’amiral de Coligny, héros de guerre et chef militaire du parti huguenot depuis la mort de Condé repris sa place dans le conseil royal et se rapprocha du roi.
Dans une volonté d’apaisement, Catherine de Médicis organisa l’union de sa fille Marguerite avec Henri de Navarre, futur Henri IV et meneur du clan Bourbon protestant.
Quoique extrêmement impopulaire auprès des catholiques, le mariage eut lieu le 18 août 1572. Tous les grands du royaume, y compris les protestants furent conviés à Paris.
Henri de Navarre et Marguerite de Valois
Enluminure du livre d’heures de Catherine de Médicis | 1572
La nuit de la Saint-Barthélemy
L’exaspération des parisiens, ultra catholiques et galvanisés par les prêcheurs, était à son comble.
Les festivités se déroulèrent sans encombre, mais quelques jours après les noces, Coligny fut blessé lors d’un attentat le visant. Les Guise, probables instigateurs, amorcèrent ainsi le sabotage du processus de paix en cours. Dans la capitale au bord de la guerre civile, les protestants réclamaient vengeance. Effrayé, Charles IX rassembla le conseil restreint où il fut finalement décidé d’éliminer les chefs de guerre protestants.
La première action fut menée par le nouveau Duc de Guise, Henri de Lorraine. Encore une fois, l’amiral Coligny était la cible. Cette fois on l’assassina dans son lit, le défenestra et enfin le décapita.
Les nobles huguenots logés au palais du Louvre furent évacués puis tués dans les rues voisines.
Ensuite, Guise et sa troupe s’attaquèrent aux protestants rassemblés dans le faubourg Saint Germain.
La tuerie commanditée par le pouvoir royal devait s’arrêter là. Mais dans la nuit, les parisiens, exaltés par ces premières exactions sonnèrent le tocsin de Saint Germain l’Auxerrois et l’extermination se généralisa à tous les protestants sans exception.
Dès le lendemain, le roi ordonna la fin du carnage mais ne fut pas obéit. Pendant les jours et les semaines suivantes, d’autres villes déclenchèrent leurs propres razzias. Au total on estime à 30000 le nombre de morts dont 3000 à Paris.
Gaspard II de Coligny
par François Clouet vers 1565
Par la suite le roi déclara avoir décidé du massacre pour contrecarrer une conspiration de Coligny contre sa personne. Il endossa ainsi la responsabilité de cette répression « dans l’intérêt du royaume ».
Dans les mois qui suivirent, l’édit de Saint Germain fut annulé, le culte protestant interdit et les conversions fortement encouragées. Henri de Navarre lui-même abjura sous la contrainte le 26 septembre 1572.
Rescapé du massacre, Dubois peint son chef d’œuvre
Pour analyser cette œuvre, il est essentiel de connaître l’expérience de l’artiste lui-même par rapport aux évènements et ainsi déceler sa subjectivité pour garder notre objectivité.
François Dubois est lui-même un rescapé des massacres de la Saint Barthélemy et selon les sources, des membres de sa famille y ont péri.
Nous avons donc affaire ici à un tableau partisan dont l’artiste adopte le point de vue des victimes. Évidemment, pas besoin d’effort pour garder notre objectivité quant au bien fondé de la tuerie : assassiner toute une partie de la population en référence à sa religion, c’est mal ! Nous sommes d’accord !
Le massacre de la Saint Barthélemy
par François Dubois | réalisé entre 1576 et 1584
Mais le propos du peintre transparaît dans chaque détail du tableau et c’est passionnant.
Le décor prend place dans un Paris irréaliste : le peintre a souhaité placer dans son cadre les lieux phares où se déroulèrent les tueries, quitte à malmener légèrement la topographie.
Au centre le Louvre, vers lequel converge la perspective de la scène, « vomi » une horde d’assassins déchaînés toutes piques dehors. On peut constater que l’on exécute jusque dans le palais, en haut des créneaux. De l’une des fenêtres le roi Charles IX tire à l’arquebuse. Catherine de Médicis quant à elle examine un tas de dépouilles dénudées devant l’entrée du palais.
Devant le Louvre se trouve l’hôtel de Ponthieu où Dubois nous raconte l’assassinat de Coligny en trois actes. On le voit, pendant à la fenêtre en train d’être défenestré. On le retrouve ensuite à terre, décapité et en cours d’émasculation, entouré des ducs de Guise (brandissant sa tête décollée), d’Aumale et du chevalier d’Angoulême. Enfin son corps est traîné vers la sortie de la ville, sans doute pour y être pendu au gibet de Monfaucon (actuelle place du colonel Fabien, dans l’est parisien), représenté sur la colline tout à fait à droite du tableau.
De l’autre côté de la Seine remplie de cadavres on peut identifier le couvent Saint Augustin, la tour de Nesle et enfin la montagne Sainte Geneviève sur laquelle culmine un moulin, presque comme un salut.
Les personnages occupent tous les espaces et nous montrent l’épouvantable barbarie. Les protestants sont clairement martyrisés. Les meurtriers se déchaînent sur des victimes suppliantes, beaucoup sont des femmes et des enfants sans défense.
On distingue les catholiques facilement car ils portent tous un couvre-chef, même les deux enfants trainant un nourrisson au milieu de la scène.
Pourtant au cœur de sa peinture, François Dubois semble avoir niché une lueur d’espoir. Un gentilhomme habillé de rouge, portant cape et chapeau, certainement catholique, paraît bouleversé par toute cette violence frénétique. Sa posture est compatissante et son émotion nous rappelle que tous les catholiques ne cautionnent pas cet acharnement.
Si cette œuvre unique en son genre dénonce l’exaltation des parisiens les plus zélés et célèbre la mémoire des martyrs protestants, ces derniers restèrent néanmoins extrêmement discrets à la suite de cet évènement.
En revanche, les nations catholiques se félicitèrent de cette purge. Le pape Grégoire XIII alla même jusqu’à commander une fresque à Giorgio Vasari glorifiant l’extermination.
Aujourd’hui encore, les historiens restent prudents sur les commanditaires et la responsabilité de la famille royale.
En 1573 une paix fragile fut signée mais cet épisode marqua un fossé entre le pouvoir royal et les huguenots. Moins d’un an plus tard les affrontements reprennent de plus belle avec la conjuration des Malcontents.
Charles IX décède en 1574 et Henri III, son frère, lui succède. Ce dernier répond favorablement aux Malcontents en signant l’édit de Beaulieu, posant ainsi les bases du futur édit de Nantes. Le roi indemnise également toutes les victimes de la Saint-Barthélémy. Mais les catholiques considèrent ces nouvelles dispositions excessives et forment, principalement dans la moitié nord de la France, des partis catholiques unis entre eux : c’est la Ligue. Cette organisation prend tellement d’importance qu’elle parvient à chasser Henri III de Paris. Il est assassiné en 1589 par Jacques Clément, un fanatique catholique membre de la Ligue.
Henri de Navarre, successeur légitime, devient le nouveau souverain sous le nom d’Henri IV. Ayant le gros désavantage d’être huguenot et chef du parti protestant, il se convertit définitivement au catholicisme en 1593, apaisant ainsi les consciences.
L’édit de Nantes est signé en 1598. Il donne la liberté de culte, l’égalité civique et les droits politiques aux protestants et met fin aux guerres de religion.
A propos de François Dubois...
Né en 1529 à Lausanne, François Dubois est surtout connu pour le tableau du « Massacre de la Saint Barthélemy ».
C’est d’ailleurs la seule œuvre qu’on peut lui attribuer avec certitude. On lui prête tout de même la paternité d’une peinture sur le Triumvirat romain.
Protestant lui-même, il réchappe des tueries et se réfugie à Genève où il meurt en 1584.
Repères
- 1534 : Affaire des placards
- 1er mars 1562 : Massacre de Vassy et début de la première guerre de religion
- 24 août 1572 : Nuit de la Saint Barthélemy et début de la quatrième guerre de religion
- 1574 : Mort de Charles IX, son frère Henri III lui succède
- 1589 : Henri III meurt assassiné par le fanatique catholique Jacques Clément, Henri IV lui succède
- 1598 : Signature de l’édit de Nantes par Henri IV
- 1610 : Henri IV est assassiné par Ravaillac, autre fanatique catholique
Pour en savoir plus sur les guerres de religion :
Page Wikipédia sur les guerres de religion en France au XVIème siècle
Pour en savoir plus sur la Saint-Barthélemy :
Page wikipédia sur la nuit de la Saint Barthélemy
Courte vidéo sur France TV éducation
2000 ans d’histoire avec l’historienne Arlette Jouanna historienne
Comme quoi ! il est important de s’ intéresser à toute forme d’Art en particulier aux artistes comme François Dubois qui a laissé un témoignage poignant de son époque. Super sujet brûlant – vite et bien instruit, j’ attend la suite avec impatience….